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David Blouin, ingénieur projet et ingénieur d’armement de la Compagnie Maritime Nantaise, l’armateur du Belem

Quelles sont les missions de la Compagnie Maritime Nantaise ?

David Blouin

Elle est chargée du recrutement de l’équipage. Personnellement, dans le cadre de mes missions techniques, je m’occupe de l’entretien complet du navire. Ca regroupe tout ce qui est l’entretien courant, les gros travaux, la préparation des arrêts techniques, les remplacements de gros équipements et la gestion des escales. Dès que l’équipage a besoin de quelque chose, je m’en charge. Avec mon assistante, Nathalie, nous calons toutes les interventions, de façon à ce que le navire ne rencontre plus les problèmes qu’il aurait pu connaître lors d’escales précédentes.

La CMN est un armateur qui bénéficie d’un réseau de sous-traitants et de fournisseurs, d’un carnet d’adresses fournis. Pour des grosses opérations, nous faisons des appels d’offres, pour caler une intervention dans les meilleurs coûts et délais et assurer la qualité car les prestations sont un peu particulières sur le Belem. C’est une « vieille dame » qui nécessite des soins spécifiques et spécialisés. Certaines interventions s’avèrent certaines fois plus compliquées que sur des bateaux classiques. Sa restauration, sa rénovation et son entretien font appel à des compétences particulières.

Le Belem étant classé aux Monuments historiques, la restauration doit se faire dans le respect des matériaux d’origine et de son histoire. La grosse difficulté réside aussi dans l’organisation de l’hivernage et les arrêts techniques. Bien souvent nous avons des mauvaises surprises, par exemple, le changement de taules qui touchent à la partie authentique du navire, il faut préserver au maximum son authenticité. Ce qui demande des compétences spécifiques. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus garder les taules rivées d’origine, car le savoir-faire n’existe plus et ce n’est plus autorisé. Dans le cadre de la préservation du savoir-faire, nous essayons de faire réaliser les travaux au maximum par l’équipage. Comme la rénovation de la mâture, par exemple, c’est l’équipage qui s’en charge, qui détient le savoir-faire, le conserve et le transmet aux nouveaux. Nous essayons de développer les métiers de marine. Il y a trois ans, nous avons installé un atelier de charpentier pour qu’il y ait réellement des charpentiers de marine à bord. Et la nouveauté pour l’année prochaine, l’équipage réparera les voiles lui-même. Nous allons acheter une machine à coudre, et l’équipage va être formé.

Est-ce qu’il est facile aujourd’hui de former l’équipage aux techniques anciennes, est ce qu’il y a encore des gens qui maîtrisent ce savoir ?

Compagnie Maritime Nantaise

Ce sont les anciens du bord qui forment les nouveaux, la transmission se fait à bord. Pour tout ce qui concerne les soins à apporter à la mâture, on se repose sur l’expérience qui est sur le Belem, nous faisons en sorte de conserver les savoir-faire, les compétences et les personnels qualifiés. Les Bosco, (chefs d’équipage) sont les personnes les plus compétentes, qui se chargent de la transmission. Il y a aussi des chantiers extérieurs qui possèdent le savoir-faire. Mais comme on peut le voir sur les autres navires, certaines parties du gréement ne sont pas authentiques. Ils n’ont pas des amarrages plats mais des câbles en inox, ce qui n’est pas d’époque. La difficulté, c’est de pouvoir restaurer à l’identique un bateau en 2013, comme lors des travaux en hivernage, car les chantiers utilisent des techniques et des matériaux modernes, nous les briefons au maximum pour qu’ils respectent les règles de l’art.

Est-ce que faire l’hivernage en Méditerranée est plus problématique qu’à Nantes ?

Ce n’est pas plus compliqué, si ce n’est qu’il y a plus de déplacements. Ils sont plus longs. En Méditerranée c’est le troisième arrêt technique, dont je m’occupe, il y a des gens très compétents aussi, le seul souci c’est le coût, parce qu’en Méditerranée le Belem est considéré un peu comme un yacht. En Atlantique, on n’est pas trop rompu à l’entretien des yachts. On est plus dans des coûts de marine marchande classique. En Méditerranée c’est souvent le problème, quand on fait des appels d’offre, on se cantonne au strict minimum pour éviter l’explosion des budgets. Sur le savoir et les compétences rien à redire, les négociations sont justes plus serrées dans le sud. Il n’y a pas de problème de qualité. Il faut veiller au respect des délais pour se caler avec la programmation des stages et des animations. Il faut avoir une date de départ impérative pour mettre la pression et être dans les temps.

Quelles contraintes impose le classement aux Monuments historiques ?

C’est sûr que le classement aux Monuments historique impose des contraintes. Je travaille étroitement avec la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) qui m’aide à trouver des pièces un peu particulières, et des artisans qualifiés. Elle peut aussi parfois nous aider financièrement. Il faut faire des déclarations de travaux, car nous n’avons pas le droit de changer la structure, l’esthétisme du navire, et les éléments de l’époque et j’y suis personnellement très attaché. C’est le fonds de commerce du bateau. C’est le plus vieux bateau classé au bureau Veritas au monde, tous les autres sont des reconstructions. Le bureau Veritas est aussi d’une aide précieuse. Le Belem est notre fierté nationale. Mais ça ne dispense pas d’être clair avec la réglementation internationale, sinon le Belem ne naviguerait pas. Il est inscrit au registre international français, le rif, qui impose normalement que tous les navires soient immatriculés à Marseille, mais nous avons fait une demande de dérogation, ce qui nous a permis de conserver Nantes sur la poupe du bateau.

Pour la petite histoire, les moteurs du Belem ont été changés en janvier dernier. Le constructeur américain John Deer, a affrété un avion pour convoyer un des moteurs pour que les délais soient respectés et que le Belem puisse être présent à l’inauguration du pont Chaban-Delmas à Bordeaux. Il faut saluer aussi les chantiers qui ont permis d’être à l’heure. Les essais ayant été réalisés ensuite avec succès, le Belem a pu être là le jour J.

Quelles autres difficultés rencontrez-vous ?

Compagnie Maritime Nantaise

Il peut y avoir des demandes étranges auxquelles il faut répondre, par exemple, un problème de cuisine qu’il faut réparer en urgence comme la machine à trancher le jambon. Ou encore des réparations urgentes de voile à réaliser le temps d’une escale. C’est souvent compliqué de trouver un voilier qui peut réparer la voile dans des délais très courts, d’où l’intérêt de former les gabiers à la réparation des voiles et de posséder voir un savoir-faire supplémentaire. Dans le cadre de mon métier, je m’occupe aussi des actes de piraterie dans le Golfe d’Aden, Golfe de Guinée. Fort heureusement, le Belem n’a pas connu de désagrément de ce type. En revanche, dans le cadres des Jeux Olympiques de Londres et l’accueil des familles et amis des athlètes français, il a fallu mettre en place des mesures de sécurité particulières (fouille, déclaration des identités bien en amont). Ou quand le Belem doit traverser l’Atlantique, il faut faire des demandes spécifiques auprès des affaires maritimes, car le bateau n’est normalement pas autorisé à traverser l’Atlantique comme ça. Il faut présenter des dossiers en fonction de la météo, de la saison, des routes que le bateau va emprunter et il faut que les affaires maritimes donnent leur autorisation.

Tout notre travail consiste à préserver au maximum l’authenticité du Belem tout en le faisant naviguer le plus possible dans des conditions de sécurité modernes maximales.

*Merci David et a bientôt peut-être sur ce beau navire!!

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Depuis sa création en 1980, la Fondation Belem a pour mission de conserver dans le patrimoine de la France le trois mâts Belem, dernier grand voilier français du 19ème siècle, l’un des plus anciens navires au monde toujours en navigation. Elle s’est donné pour objectif de porter témoignage de la tradition maritime française, et de faire du Belem une véritable école de la mer pour le public le plus large possible.

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