MYANMAR

En route pour la « vallée interdite » de Mogok en Birmanie

Fin décembre 2013, nous avons découvert Mogok, la « vallée interdite » en Birmanie en suivant les pas de Vincent Pardieu, gemmologue, chercheur de pierres précieuses de couleur. Il faut 6 heures en voiture depuis Mandalay, pour rallier le « joyau birman », de quoi picorer des morceaux de vie locale.

A.Lucas, V.Pardieu, Khun Didi

Départ de l’aéroport de Bangkok direction Mandalay en Birmanie. Après un peu plus d’une heure d’avion, on plonge dans un univers totalement différent. Un peu à la manière d’un 33 tours, Face A : Bangkok : ville ultra moderne, à l’américaine avec ses innombrables buildings et ses embouteillages pour arriver sur la Face B : Mandalay, où les deux roues sont rois, les marchands ambulants sont légions.

A notre arrivée Vincent Pardieu (1), Andrew Lucas (membre du GIA, Gemological Institute of America en Californie) et notre chauffeur-guide Birman, Jordan nous accueillent. Il est 13 heures, il faut partir au plus vite. Mogok est à 6 heures de voiture au nord de la Birmanie et mieux vaut éviter d’y arriver trop tard, les routes peuvent être dangereuses et sujettes à l’attaque de rebelles, groupuscules qui sévissent encore dans la région. Ils installent des embuscades, des barrages, armés de mitraillettes et dépouillent les occupants des véhicules.

L’aéroport est situé bien à l’extérieur de Mandalay et déjà s’étendent de nombreux champs cultivés, des canaux d’irrigation. C’est un pays maraîcher, gros producteur de fruits et légumes. De nombreux oiseaux blancs, majestueux, trônent fièrement sur leurs longues pattes au milieu des cultures. Des charrettes tirées par des bœufs transportent les récoltes et autres productions et provisions.

Une terre profondément bouddhiste et agricole

De Mandalay à Mogok – Birmanie

Et ce qui frappe tout de suite, c’est le nombre incroyable de pagodes, temples bouddhistes, chaque mont est chapeauté par l’une d’entre elles, sommet doré, brillant à des kilomètres à la ronde. La Birmanie est profondément bouddhiste, croyante et pratiquante.

Toutes ces constructions sont une véritable féerie, les pagodes émergent, sorties de nulle part et apportent une singularité dans ces paysages agraires. Les routes sont poussiéreuses, elles me rappellent les décors tanzaniens. La terre est rouge, sèche et volatile, elle dépose son voile sur tout ce qui l’entoure, tout le paysage est de couleur uniforme.

D’innombrables échoppes sommaires, véritables cavernes d’Ali Baba jalonnent la route, on peut y acheter une multitude de provisions en petite quantité. Les hommes et les femmes sont habillés de l’habit traditionnel birman, le longi, sorte de grande jupe droite, à petits carreaux pour les hommes et un peu plus fantaisie pour les femmes. Mise à part les motifs, c’est la façon de l’attacher qui les distingue, noués devant pour les hommes et sur le côté pour les femmes.

Sur le bord de la route, tout rappelle que l’on se trouve dans une région agricole, les étals débordent de légumes, choux fleurs, pastèques, fraises et de nombreux produits locaux qui me sont totalement inconnus. Plusieurs élevages de canard rappellent leur penchant pour ce met. J’aime traverser les pays par la route, c’est long mais en chemin on peut capturer, picorer des morceaux de scène locale, collecter des instantanés de vie, s’imprégner, se laisser immerger par l’atmosphère. Les voyages ce sont les cinq sens en éveil et ce genre de périple permet de les connecter. Ici le marchand de glace ambulant avec sa sonnette pour attirer les enfants, là des femmes qui construisent la route à la main. Elles cassent les cailloux pour faire la base, sous un soleil de plomb, le goudron est fabriqué au fur et à mesure, il est chauffé sur le bord de la route et étalé à la main à l’aide de récipients faits maison. Les femmes courent pour répandre la substance noire et visqueuse. Rien d’étonnant qu’elles aient des silhouettes longilignes et sèches. Un vrai travail de fourmi. C’est plus que rudimentaire.

Un trajet en voiture très instructif

La conduite se fait au klaxon, tout dépassement est prévenu par un signal sonore en guise de clignotant, la circulation s’organise. Les deux roues sont légion, ils servent à tout transporter. L’espace disponible est rentabilisé à son maximum, des panières tressées de chaque côté débordent de denrées, l’arrière du siège sert à arrimer ce qui ne loge pas dans les paniers. Ce moyen de locomotion permet aussi de transporter les familles, trois, quatre personnes, des bébés, les femmes sont assises en amazone, le transport collectif n’est pas un vain mot ici. Les camions juchés sur des grandes roues semblent avoir un siècle, tas de taules bruyants, crachant une fumée noire, poussifs dans les montées, sans capot, laissant voir leur mécanique d’un autre âge, l’électronique est proscrit, on dirait des moteurs de tondeuses. Au contrôle routier, les hommes notent les numéros des plaques d’immatriculation à la main sur une feuille. On se croirait transporté dans un autre temps.

Une demi-heure après avoir quitté Mandalay, les premiers reliefs s’offrent à nos yeux. Dans son livre Joseph Kessel, « La vallée des rubis », parle de jungle abondante, à ma grande surprise tous les arbres ont disparu, victimes d’une déforestation sans pitié. Les habitants s’en servent de bois de chauffe, pour la cuisine, pour la construction, pour faire des cultures. Le fabuleux bois de teck qui verdissait les paysages a disparu, c’est frappant, et ce sentiment ne fera que s’amplifier tout le long de la route jusqu’à notre arrivée à Mogok.

Les faciès birmans sont très différents de ceux de la Thaïlande. Les femmes et les jeunes ornent leur visage de poudre de tanaka. Crème extraite du bois d’un arbre, obtenue par frottement sur une pierre, la substance ainsi collectée est mélangée à de l’eau et du jus de citron.

C’est un masque frais qui protège du soleil, de la chaleur, préserve la peau de la poussière. En séchant, le tanaka tire sur l’épiderme évitant ainsi les rides et son vieillissement. C’est ainsi que la belle poudre jaune dessinent de magnifiques ronds, des feuilles joliment dentelées et des motifs artistiques et originaux.

Sur le bord de la route, de simples tuyaux d’arrosage qui sortent de nulle part, font office de stations de lavage, improvisées. La conduite se fait à droite en réaction à la longue domination anglaise. Un bus est en panne sur le bord de la route, le capot arrière est ouvert et de nombreuses pièces jonchent la route, des hommes l’ont démonté et tentent de le réparer sur place. Dans les champs, les rizières, des femmes s’activent, elles sont coiffées de chapeaux pointus, ces images on les a déjà vues … à la télévision, dans des reportages, dans les magazines, mais cette fois nous y sommes, en vrai. Ici une femme arrose sa parcelle, elle utilise une boîte de conserve accrochée à un long bâton, de fabrication maison et artisanale. Elle collecte l’eau dans un canal d’irrigation derrière elle et dans un mouvement circulaire, elle asperge les pousses de riz. Là ce sont des fabriques de briques rouges, des femmes les étalent pour le séchage.

A la pause-déjeuner, on découvre la gastronomie birmane, notre guide passe commande pour nous. On nous apporte sept plats différents qui nous permettent de déguster les saveurs locales, principalement des légumes, le thé classique est systématiquement offert, il remplace notre eau en pichet.

Le thé birman quant à lui est additionné de lait concentré sucré, ils en raffolent.

Des scènes de vie volées

Il est temps de repartir. Au bout de deux heures, la route devient plus étroite et ne permet pas à deux véhicules de se croiser, chacun mord le bas-côté soulevant un impressionnant nuage de poussière. Le paysage est de plus en plus vallonné.

Une femme se lave dans son jardin avec l’eau d’un bidon, dans certains endroits il n’y a pas d’eau courante. Plus loin des enfants, hauts comme trois pommes, transportent leur provision d’eau dans de gros bidons reliés à un grand bâton qu’ils portent sur leurs épaules, leur petit chien les escorte. Puis tout à coup, on voit une maison construite en dur, toute seule au milieu de nulle part, et protégée par une barrière de fils de fer barbelé, tel un mirador avec un imposant portail.

On croise des enfants moines bouddhistes, drapés dans leur tenue rouge safran traditionnelle, la plupart du temps pieds nus, crânes rasés toujours. Les hommes peuvent devenir moine « à temps plein » ou revêtir l’habit pendant un certain temps, plus ou moins long, plus ou moins souvent, sous forme de retraite. Les jeunes moines partent avec leur empilement de gamelles en inox, ils vont chercher leur nourriture offerte par la population, en contrepartie ils lui transmettre leurs connaissances, lui prodiguent leurs enseignements, et l’aident dans les moments durs de la vie.

Des bottes de paille en forme de poire jalonnent le paysage. On suit un camion, transportant des ouvriers mâchant du bettel, qui leur fait un sourire et une dentition rouge si caractéristique. Les visages sont burinés et à première vue fermés mais dès que leur regard croise le vôtre et que vous esquisser un sourire, ils s’illuminent et se transforment spontanément et sincèrement. Ce genre d’échanges vrais furtifs vous emplit d’énergie. L’heure avance, des femmes rentrent des champs avec leur panier en osier rempli d’outillages qui servent aux travaux des champs, ficelé dans le dos et accroché à la taille. Certaines transportent des bottes d’herbe haute. Tout est encore très manuel dans cette région, beaucoup de trajets se font à pied. Un enfant joue à faire rouler un pneu. Scène de jeu que l’on retrouve fréquemment en Afrique.

On a l’impression d’être des chasseurs de clichés, capturant des scènes d’un autre âge dans un autre monde. A la nuit tombée, les routes se désertifient, la bande de bitume serpente de plus en plus, des grappes d’hommes se retrouvent autour de feux de bois, pour se réchauffer, les nuits sont froides dans cette région birmane.

Et tout d’un coup au détour d’un virage, on découvre une vallée étoilée de mille petites lumières provenant de petites habitations, c’est Mogok qui se dévoile. Une pagode brillant de mille feux domine la cité, c’est tout simplement magique, on accède à la fameuse « vallée interdite », la « vallée des rubis, sang de pigeon », on a du mal à réaliser. Mais à cet instant-là, nous prenons conscience de notre grande chance.

(1) Le site de Vincent Pardieu fourmille de récits d’expéditions et de magnifiques photos : http://www.fieldgemology.org/