MYANMAR

La découverte de « La vallée interdite » de Mogok avec l’éminent gemmologue Vincent Pardieu

Joseph Kessel, dans son livre « La vallée des rubis » était tombé, dans les années 50, sous le charme de Mogok, une vallée difficile d’accès, qui l’est encore aujourd’hui et qui recèle les plus beaux rubis au monde. Leur couleur unique « sang de pigeon » a fait sa réputation. On vous propose une immersion dans une atmosphère insolite.

L’expérience d’une « field expédition » avec le gemmologue français Vincent Pardieu

Il est des aventures qui ne se refusent pas. Quand notre ami Vincent Pardieu (1), éminent gemmologue, spécialiste des pierres précieuses de couleur nous a proposé de le suivre en Birmanie en « field expédition », comme nous avions déjà eu la chance de le faire au Cambodge à Pailin, nous avons tout de suite accepté. Conscients d’être de véritables privilégiés, il nous offrait la possibilité de pénétrer dans la « vallée interdite » de Mogok, dont le sol, par un phénomène géologique tout à fait particulier, regorge des fameux rubis « sang de pigeon » uniques au monde mais aussi de spinelles, saphirs étoilés, péridots, topazes et autres pierres de lunes… De quoi faire rêver.

Voyager avec Vincent est un pur plaisir, tout est organisé sur le bout des doigts, on est pris totalement en charge. La réussite de ses expéditions tient de la rigueur, du sérieux dans la préparation et l’organisation. Vincent est amené à fréquenter des endroits à risque ou des pays dont la situation politique est instable ou particulière. Pour assurer sa sécurité et celle de ceux qui l’accompagnent, rien ne doit être laissé au hasard. Il a d’ailleurs rédigé un certain nombre de règles que chacun doit scrupuleusement respecter. L’encadrement de groupes n’a pas de secret pour lui, puisqu’il a démarré sa vie professionnelle en tant que guide touristique auprès d’un voyagiste.

Pour accéder à Mogok, il faut des autorisations spéciales, des laisser-passer, c’est ce qui lui vaut son surnom de « Vallée interdite ». Fermée aux étrangers durant les 10 dernières années, elle est à nouveau ouverte au compte-goutte depuis le mois de février 2013. Vincent a pu continuer à s’y rendre malgré les restrictions grâce à sa solide réputation et son sens de la diplomatie assez exceptionnel.

Dans chaque destination où il se rend, il a su tisser des liens avec patience, intelligence. Il a noué des contacts privilégiés avec les autorités locales, il a systématiquement un guide-chauffeur qui lui assure sa sécurité et lui sert d’intermédiaire, de traducteur.

Chaque expédition lui permet d’approfondir ses connaissances du terrain, des populations et de leurs méthodes de travail. On peut considérer que le principe est simple, il va chercher les pierres et les informations à la source, il veut voir de lui-même, il veut se rendre compte.

La difficulté c’est qu’il est amené à le faire dans des zones particulièrement sensibles, d’où l’importance d’une préparation draconienne. Ainsi durant plusieurs années pendant ses week-ends et ses vacances, il a entrepris ses voyages de prospection, son entourage professionnel n’étant pas convaincu, au départ, du bien-fondé de sa démarche.

Il voulait s’assurer de la provenance des pierres. A force de travail, de persévérance, les choses ont considérablement évolué. Il est devenu une référence internationale en la matière, distillant ses connaissances et expériences dans le monde entier via Internet, par des articles et au gré de conférences.

Il occupe aujourd’hui le poste de « Senior Manager » et est en charge du département de « field-gemmologie » (gemmologie de terrain) au sein du laboratoire du GIA (Gemological Institute of America) à Bangkok en Thaïlande.

Et il a purement et simplement créé un nouveau métier, convaincu que pour estimer le plus efficacement les pierres, il était indispensable de constituer une collection de référence avec des échantillons pris à la source.

C’est une sorte d’étalonnage qui permet ensuite d’expertiser les gemmes qu’on leur confie.

Voyager avec Vince (son surnom), c’est comme plonger tout à la fois dans des livres d’histoire, de géologie et de gemmologie.

C’est un orateur hors pair, qui prend un réel plaisir à vous conter l’histoire, les anecdotes d’un lieu, ses ressources géologiques et gemmologiques, c’est une vraie formation accélérée. Il aime à transmettre son savoir. Le seul frein pourrait être la langue, il voyage régulièrement avec des hôtes étrangers et l’anglais est de rigueur (une excellente motivation pour s’y remettre, si on a quelques lacunes).

Notre arrivée à Mogok

Une semaine avant notre départ, nous obtenions enfin les autorisations d’entrer à Mogok. Nous avions rendez-vous à Mandalay en Birmanie. Arrivés à l’aéroport, nous sommes accueillis par Vince, Andrew Lucas, dit Andy, membre du GIA de Carlsbad en Californie et par Jordan, surnom qu’il doit à sa grande taille, guide-chauffeur birman de Vince depuis une quinzaine d’années.

Le ton est donné, il faut partir vite, il est déjà treize heures, on a un trajet de six heures à effectuer en voiture pour rallier la vallée située à 200 km, et il vaut mieux éviter de le faire de nuit au risque de se faire prendre dans une embuscade. Le nord de la Birmanie connaît encore quelques troubles dus à des rebelles et/ou des bandits. Nous aimons, quand nous avons le temps, voyager par la route, ça nous permet de saisir des moments de vie, d’observer les habitants et de découvrir un pays (voir l’article narrant notre trajet).

Le nord de la Birmanie est très rural et peu peuplé. Il est 17h30, la nuit ne va pas tarder à tomber, je repense à ce que nous a dit Vince et j’avoue avoir une petite appréhension, j’ai hâte que nous arrivions. Cette fois la nuit nous enveloppe, peu d’habitations jalonnent la route, ça serpente au milieu des arbres et tout à coup, j’aperçois une lumière, puis deux, puis cent, mille, telles des étoiles qui scintillent.

Quel contraste avec tout ce que l’on vient de voir. Puis au détour d’un virage, nous passons à côté d’un grand mur en béton avec des inscriptions en birman indiquant l’entrée d’une ville. Il n’y a pas de doute c’est Mogok qui brille de mille feux. Une vive émotion m’envahit.

 

La vue se dégage, nous arrivons par une route qui surplombe la ville, ce qui nous permet de profiter d’un magnifique panorama. Une énorme pagode entièrement dorée et éclairée trône au milieu et irradie la ville.

Le lac au creux de la vallée amplifie ce phénomène de son effet miroir.

Je garde de cet instant, une sensation de magie, je n’avais jamais eu une telle vision auparavant, j’avais l’impression de pénétrer dans la caverne d’Ali Baba.

Nous atteignons le Mogok Môtel, seul hébergement au cœur de la ville. Nous y rejoignons Jean-Yves, un ami de Vince, patron d’une agence de voyage, planteur de café, de cacao et de vanille, français, un vrai baroudeur vivant en Birmanie depuis 20 ans et Khunn Cho, guide birmane-francophone et anglophone.

Ils vont nous accompagner durant notre séjour pour préparer, repérer avec Vince et Jordan, les lieux en prévision de l’accueil prochain d’un groupe de Français de l’Association Française de gemmologie.

Les sacs déposés nous partons vers un restaurant pour découvrir les spécialités locales. Nous aimons l’Asie aussi pour ça, à table on commande plein de petits plats, que l’on pose au centre de la table et chacun picore à sa guise, ça favorise la découverte.

Au menu, beaucoup de légumes, c’est une région très maraîchère, on se régale, un vrai festin, on goûte à tout avec fraicheur et délice.

Retour à l’hôtel pour une bonne nuit, en « field expédition » on se couche tôt et on se lève tôt. Les nuits sont fraîches à Mogok, c’est l’hiver et nous sommes en altitude.

Mogok, selon Joseph Kessel

Au réveil, la tentation est grande d’aller mettre son nez dehors. La conjonction de l’humidité du lac et de la fraîcheur environnante créée une atmosphère tout à fait particulière. Des langues de brume glissent à fleur d’eau, avec un peu d’imagination on pourrait y voir des formes humaines ou pas, animales. Les croyances locales parlent de sorcières qui habitent les lieux. Cet instant poétique mérite d’être immortalisé.

Tout le monde se retrouve pour le petit-déjeuner à 7H, autour d’une soupe, d’un café birman (avec du lait concentré sucré), du thé, des fruits. Nous sommes parés pour partir à la découverte de la région de Mogok, véritable joyau Birman. Cet ensemble de vallées, comprenant les vallées de Mogok, de Kyatpyin, de Barnardmyo, de Chaung Gyi, de Kyauk Pya That, de Kabaing et de Kin, est peuplé d’environ 500 000 habitants. Mogok, avec ses 150 000 habitants est lovée dans une vallée charmante et doit son fabuleux trésor à ses sols qui regorgent de rubis « sang de pigeon » grâce à des combinaisons géologiques très spécifiques. C’est la raison pour laquelle, on ne les trouve qu’à cet endroit.

Deux versions totalement antagonistes coexistent, celle que Joseph Kessel décrit dans son livre : « La vallée des rubis » est plutôt imaginaire. Elle perpétue la légende sur la découverte de cette pierre exceptionnelle :

La « Vallée interdite » de J.Kessel (Mogok, Birmanie)

«Un jour, où un grand aigle de l’univers et le plus vieux voguait lentement. Soudain, il aperçut un énorme morceau de chair fraîche qui brillait au flanc d’une colline. Et cette chair était d’une telle qualité que jamais le vieil aigle n’en avait vue de pareille.

Elle avait la couleur du sang le plus vif, le plus pur, le plus suave. D’un seul coup, il replia ses ailes immenses et se laissa tomber sur la proie merveilleuse. Mais quand les serres impitoyables, acérées et dures comme des griffes de métal et qui traversaient sans effort les cuirs les plus épais, se furent refermées sur la chair éblouissante, il leur fut impossible de l’entamer.

Alors le vieil aigle comprit. Ce n’était pas un quartier de viande qui scintillait dans l’herbe de la colline, mais une pierre miraculeuse et sacrée, une pierre comme il n’en existait nulle part ailleurs, pétrie du feu et du sang de la terre. Le vieil aigle saisit respectueusement la pierre énorme et l’emporta dans son refuge inaccessible, au sommet de la plus haute montagne.

Et la vallée où il avait trouvé cette matière prodigieuse était la vallée de Mogok. Et la pierre était le premier rubis au monde.

Voilà pourquoi c’est à Mogok seulement qu’on les peut découvrir ».

 

Et pour la version plus scientifique et néanmoins très abordable et non dénuée d’une certaine poésie, qui de mieux placé que Vince pour nous la fournir. Il nous explique :

« On peut considérer que les rubis de Mogok, du Vietnam, d’Afghanistan, du Pakistan, du Tajikistan et du Népal, sont issus de la transformation des restes des premiers êtres vivants de notre planète qui évoluaient dans l’océan Thétis.

Ils ont été transformés en gemmes lors de la collision entre l’Inde et l’Eurasie au moment de la formation de l’Himalaya. Il y a des centaines de millions d’années, à l’époque où sont apparus les dinosaures, l’Inde était collée à l’Afrique et formait un supercontinent nommé Gondwana (2). Le tout était séparé de l’Eurasie par un océan nommé Thétis.

Puis il y a environ 120 millions d’années, au moment de l’apparition des premiers mammifères, l’Inde s’est détachée de l’Afrique (aucun rapport entre ces deux évènements). Elle a traversé l’océan Thétis avant d’entrer en collision avec l’Eurasie, il y a environ 30 millions d’années… bien après la disparition des dinosaures.

De part et d’autre de l’Inde se trouvent des régions dont les roches ont été compressées, tordues et soumises à des pressions et de températures colossales du fait de cette collision. Les calcaires, qui se formèrent avec les débris des êtres vivants ayant peuplés l’océan, ont été métamorphosés en marbres. Dans certains d’entre eux les impuretés qu’ils contenaient (des traces d’aluminium, de chrome, etc…) se sont regroupées et ont formé les rubis comme l’ont montré les études géologiques récentes de géologues Français (3). Pour les saphirs, le processus a été un peu plus complexe.

Pour résumer, les rubis de Mogok sont issus des débris des premiers êtres vivants ayant peuplé l’océan Thétis ».

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