Le dernier des grands voiliers de commerce français du XIXème siècle, encore naviguant, est un navire-école civil ouvert à tous. Immersion à bord.

Le Belem, navire-école est ouvert à tous, il embarque chaque année plus de 1200 stagiaires, d’avril à octobre. Alors pourquoi pas vous ? Originaire de La Rochelle, j’ai souvent vu le trois-mâts barque à quai, sans jamais y être montée. Adolescente, je rêvais d’horizons lointains à bord de ce magnifique navire, véritable fleuron national, aux côtés de mon père qui m’a transmis ce virus.

Et cette année, suite à l’évocation de ces souvenirs, presque enfouis, mon entourage m’a offert la possibilité d’embarquer. Au programme quinze jours de navigation, un aller-retour entre Toulon et Barcelone avec en prime la participation à la Tall Ships Regatta (ancienne Cutty Sark).

J’allais pouvoir réaliser un rêve d’enfance et le souhait de mon père. Avec cette aventure, je souhaitais lui rendre hommage et accomplir ce périple à sa mémoire.

Le jour J est arrivé

Me voilà à quai, le Belem se dresse fièrement, je suis envahie par une forte émotion. L’embarquement se fait de nuit, un soir de pleine lune ce qui rend l’instant magique. Je découvre les matériaux nobles qui en font sa beauté : le bois, les cuivres. Mais très vite, je suis impressionnée par le nombre considérable de bouts, de poulies, de cabillots de tournage qui servent à la manœuvre. Comment vais-je m’y retrouver ?

Les premiers contacts se nouent, les premières paroles sont échangées avec certains des 47 autres stagiaires. Les visages rayonnent. Les apprentis matelots entrent dans le grand roof, tout en bois et cuivre, superbe, accueillis par les 16 membres d’équipage, droits comme des « i » dans leur pull bleu, visage buriné par la mer et le soleil, impressionnants. Le second capitaine, Christophe, explique l’organisation de la vie à bord. Discipline et rigueur s’imposent pour bien cohabiter.

Chacun se voit attribuer un mug numéroté, celui de sa bannette. « Retenez bien votre numéro, il vous suivra tout le stage, il sera noté sur le calendrier des tâches à affectuer. Chaque stagiaire sera initié, sous la conduite d’instructeurs spécialisés, à toutes les disciplines du bord: barre, manœuvre des voiles, matelotage, navigation de jour comme de nuit, règles de sécurité, travaux de la vie quotidienne et restauration du bateau.

Quand on embarque sur le Belem, on devient un apprenti gabier, c’est ce qui fait tout l’intérêt et tout le charme de l’aventure. Fans de la “Croisière s’amuse” s’abstenir. Chacun découvre la batterie, le carré des stagiaires, les couchettes en bois sont étroites, 60 centimètres sur 190, mieux vaut être petit.

Une grande table avec des bancs servent aux repas et aux moments de détente.

Les quarts de nuit, des moments privilégiés

Première nuit et premier quart, de minuit à 4 heures. Le gabier vient nous arracher des bras de Morphée. Tout ensuqués, les moussaillons sautent dans leurs bottes, leur pantalon et leur ciré. Trois groupes se répartissent entre la veille, la barre et la disponibilité. La nuit étoilée est magnifique, on voit la Voie lactée. Le reflet de la pleine lune scintille sur les flots.

Le gabier me fait sortir de ma rêverie: « Il me faut quelqu’un pour la barre. Les yeux sur le compas, cap à 55 et quand on y est, on le dit”. Je me lance, je la saisis, elle me semble immense, devant moi se déploie une cathédrale de voiles, vingt-deux précisément, c’est impressionnant. Le maniement est rude, le safran donne des à-coups, la concentration est à son maximum. Mais quelle sensation, empreint de fierté et d’appréhension. Au bout d’une vingtaine de minutes, je cède ma place. Yann, l’officier de quart, a besoin d’aide: “A mon signal, il faudra noter l’heure exacte affichée sur ce chrono”. Il s’équipe du sextant, pointe une étoile et prend ses mesures. A son top, je note conscienceusement les chiffres. Première initiation aux techniques anciennes et modernes de navigation. Un nouveau monde s’ouvre à moi.

L’heure est maintenant venue de rejoindre le poste de veille. On y scrute l’horizon, on y apprend les feux de signalisation des bateaux, qui donnent des informations précises sur la longueur, le type de navire. « Allô la dunette, ici le gaillard, un navire de 50 mètres à 45° babord ».

Les quarts de nuit sont des moments privilégiés. L’obscurité qui nous enveloppe devient propice aux échanges, créant des liens forts et intenses. Les yeux commencent à piquer, il est quatre heures, la relève arrive.

La journée, immersion dans la vie quotidienne des marins

Le réveil se fait dans la bonne humeur, tout le monde est sur « le pont » à 7 heures. Les conversations vont bon train sur les impressions de la nuit, pendant que les petits pains, le beurre salé et les confitures circulent. Une fois le café avalé, et la douche prise, place aux tâches d’entretien. A nous les cuivres et les balais. José, le bosco-le chef d’équipage, la clope au bec, en pantalon de ciré et en bottes, arrose copieusement le pont. « On n’est pas en croisière ici ». Tout le monde s’active, tout doit briller. Les tire-au-flanc n’ont pas leur place à bord. Tout le monde est logé à la même enseigne.

Les manœuvres des voiles sont prioritaires. Changement de cap, donc d’allure. Le bosco se poste sur le spardeck et lance ses ordres. « Parer à brasser. On va hisser les vergues volantes : hunier volant, perroquet et cacatois. Il me faut des équipes aux écoutes, aux râteliers du pied de mât ». Certains connaissent un grand moment de solitude, largués par ce vocabulaire technique, mais suivent le mouvement.

Les journées s’écoulent ainsi au rythme des manœuvres, des conférences de Yannick Simon, le jeune commandant, quand les conditions le permettent, sur l’histoire du navire et ses caractéristiques techniques. Des cours sont dispensés par un équipage patient que les marins amateurs sollicitent beaucoup. Il nous initie à l’art de la navigation, nous fait découvrir la grande marine à voile.

« La vieille dame », comme certains le surnomment, a besoin de soins particuliers, qui requiert des compétences spécifiques, les gabiers aiment à partager leurs savoirs-faire et leurs expériences. Chacun vaque à ses occupations, on se croise ou pas, on échange beaucoup, des affinités se créent. Un séjour sur le Belem, c’est la découverte du monde passionnant de la marine traditionnelle, du métier rude, mais tellement attachant, des marins. C’est une aventure maritime et humaine intense. A la fin de votre stage, la restauration du pont, les gréements, les voiles, les nœuds et autres bouts n’auront plus de secret pour vous.

Et quelle magie, quand une quinzaine de dauphins escortent le bateau et sautent joyeusement autour de nous, que l’un d’entre eux vient se faire caresser lors d’une sortie en pneumatique autour du « Belem » ou quand une baleine trace sa route à quelques mètres du navire, qu’une raie virevolte majestueusement près de la coque, que des méduses dansent et qu’une tortue remonte à la surface pour respirer.

C’est tout ça le « Belem » mais c’est aussi le vent et la houle qui peuvent forcir, alors les visages blêmissent, les estomacs se retournent, les déplacements sont périlleux, tout le monde adopte une allure cavalière, jambes et bras écartés à la recherche d’un équilibre précaire. Alors le service à table relève de l’acrobatie. Pour éviter le mal de mer, il faut bannir les 3 F, éviter la Faim, le Froid et la Fatigue, et respecter le sens du vent en cas d’urgence quand le déjeuner ne passe pas. Si ça arrive, en général ça ne dure pas.

Mais l’essentiel est ailleurs dans l’aventure. Quand le bateau accoste pour la fin du voyage, on se surprend à ne plus vouloir descendre, à ne plus vouloir le quitter. Ce navire a une âme. Il faut se résoudre à céder sa place. Mais c’est décidé, on reviendra…

 

A la fin de chaque stage, un diplôme est remis à chaque moussaillon résumant les conditions météorologiques et le parcours effectué, à garder précieusement.