La visite des mines de rubis à Mogok
Quand on part en expédition avec Vincent Pardieu, éminent gemmologue français, spécialiste des pierres précieuses de couleur, on découvre les différentes facettes du métier qu’il a créé.
On marche dans ses pas, on observe, on questionne, on écoute et on apprend… beaucoup.
Nous avons ainsi pu découvrir les différentes étapes de la vie d’une pierre : de son extraction, à sa taille, et pour finir sa vente sur les marchés. Nous avons eu la chance et le privilège de le suivre dans les mines de rubis et spinelles à Mogok. Ces visites lui sont essentielles, pour récupérer à la source les échantillons de références dont a besoin le laboratoire du GIA (Gemological Institute of America) où il travaille, mais aussi pour connaître les habitudes de travail, les moyens d’extraction, les types de pierre extraites, la géologie des sols, l’environnement et aussi tout simplement pour rencontrer les mineurs et les propriétaires des mines.
Il prend des notes précises, minutieuses dans son petit carnet « Star Wars », avec les coordonnées GPS, le nom du lieu, des personnes rencontrées, les données et spécificités techniques, les pierres achetées et leurs prix. Il immortalise ces éléments avec des clichés photographiques de qualité, plein d’humanité et de sensibilité (1) dont il se servira pour ses rapports d’expéditions et ses futures publications (2). Il exerce son métier avec beaucoup de cœur et de passion.
L’extraction des pierres
Les différents sites que nous avons visités sont en partie mécanisés. Dans certains, des tractopelles attaquent la montagne, des filins d’acier sortent des entrailles de la terre et transportent des seaux remplis de cette terre riche en gemmes que les gens de Mogok appellent le byon.
La roche s’érode, la terre s’éboule le long des monts, pour finir dans la vallée. Les hommes creusent des galeries, les collines sont telles du « Gruyère ». Les mineurs perforent la terre, la lavent pour en extraire des blocs de marbre, qui servent d’écrin aux cristaux précieux, les concassent et trient le fameux butin grâce des tamis mécanisés. Ces derniers sont des machines qui ont été mises au point par les mineurs d’étain Australiens et adaptées ensuite par les mineurs de saphirs pour leurs besoins partout dans le monde.
Leur secret est basé sur le principe que les gemmes comme le rubis, le saphir, le spinelle, le zircon, la tourmaline ont la particularité d’être plus denses que le marbre ou le quartz. Ainsi les gemmes se retrouvent coincées dans la machine alors que les minéraux plus légers sont emportés par le courant. Seules les petites gemmes encore entourées de leur matrice de marbre peuvent échapper à ce tri mécanique.
Un travail de fourmi
Mais à Mogok, rien ne se perd ! En bout de chaîne, les « Kanase », majoritairement des femmes, récupèrent les rebus pour ne laisser échapper aucune once de gemme, tout est trié jusqu’au dernier grain de poussière brillant.
La tradition des Kanase est intéressante et spécifique à la Birmanie. Elle vient d’une ancienne coutume royale qui autorisait les femmes du village à récupérer librement les rejets de chaque mine. Cette tradition est toujours vivante et permet aux gens modestes du village de travailler et d’avoir un revenu en récupérant ces gemmes qui ont échappé aux machines et aux surveillants.
Le travail est harassant, il se fait dans la terre mouillée, la poussière, au soleil ou dans l’obscurité et le confinement de la mine et le bruit étourdissant des machines.
Malgré des conditions de travail difficiles, ils ne perdent pas leur généreux sourire et leurs rires et nous avons assisté à de vraies scènes de bonne humeur.
C’est en voyant ces personnes au travail que l’on se rend compte que leur motivation à travailler si dur est simplement l’espoir de trouver un jour cette belle pierre qui fera d’eux, une homme ou une femme riche, comme dans ces histoires qui se murmurent…
Notre visite tournait parfois à l’attraction et nous avons pu nous rendre compte combien les habitants de Mogok étaient, simplement, visiblement ravis de nous voir.
Nous avons été marqués par un site en particulier: Baw Lon Gyi. Il se trouve à proximité d’une grosse mine privée, c’est un village avec ses traditionnelles maisons de bois. A côté se trouve un grand espace ouvert composé de monticules de débris de marbre blanc, résultat du concassage de plusieurs mois, voire plusieurs années.
Là vivent et travaillent des centaines de Kanase et de marchandes.
Les femmes sont en rond, certaines portent leur bébé emmailloté dans le dos et brisent des heures durant les rebus pour ne laisser aucune miette et pour collecter de petites pierres qui serviront à la décoration, à la confection de bijoux à petits prix, et à la réalisation de tableaux en poussières de pierres.
Elles portent des vêtements longs et des chapeaux pour se protéger du soleil, elles discutent, elles rient, elles plaisantent, s’interpellent. C’est vivant. Il y a une énergie incroyable, on en oublierait presque leur rude existence. Une vraie leçon de vie.
L’exploitation des mines
A Mogok l’eau est un élément essentiel dans l’activité minière. Il arrive que certains sites, comme les mines alluvionnaires où les mineurs lavent le byon, soient abandonnés faute d’eau suffisante pour le lavage. C’est le cas durant la saison sèche.
D’autres, en revanche, comme les mines souterraines où les gemmes sont extraites de la roche mère, sont fermés durant la mousson.
Il arrive que le trop plein d’eau condamne les mines, car une fois inondées, leur exploitation devient très onéreuse, et sont parfois carrément impossibles à travailler même en utilisant des pompes : les galeries, parfois profondes de plusieurs centaines de mètres se remplissent d’eau et nécessite un pompage avec des machines diesel, qui coûtent cher.
Entre croyances et superstitions
Les villes de Mogok et de Kyatpyin sont parsemées de pagodes, d’églises, de mosquées, de temples hindouistes reflets de la diversité ethnique des lieux mais aussi de la ferveur religieuse de sa population, chaque montagne ou colline entourant ces villes est coiffée d’une pagode.
C’est une forme d’offrande pour se protéger et se faire pardonner d’avoir creusé la terre, les mineurs de Mogok ont conscience d’abîmer la montagne, de déranger les esprits qui, pensent ils, vivent là…
Il faut dire qu’a Mogok les forces de la nature sont palpables : les tremblements de terre et les orages sont fréquents, et certains mineurs deviennent riches tandis que d’autres peuvent être blessés voire mourir dans un accident minier. Au final les gens sont très superstitieux et foncièrement croyants.
Certains pensent que les pierres bleues sont des rubis pas mûrs, ils les remettent dans la terre comme si c’était des pommes de terre que l’on replante. C’est amusant car une grande partie de Mogok reste non fouillée, elle est maraîchère et les habitants refusent que l’on touche à leurs lopins de terre qui fournissent les légumes, ce qui qui fait dire à Vincent en bon Français qui se respecte: « On vient à Mogok pour ses gemmes, on y revient pour la nourriture ».
Une richesse partagée ?
Les zones minières appartiennent au gouvernement, qui donne son autorisation d’exploitation. Selon Vincent, les licences minières ne sont données que pour 3 ans.
A Mogok, il y a beaucoup de secrets et de rumeurs concernant les mines. Quelle mine est la meilleure ? Difficile de savoir : avec ses licences minières le gouvernement donne accès à un rêve…
Il peut récompenser ses amis ou acheter la paix à ses anciens adversaires en fournissant aux ethnies rebelles et aux minorités, qui étaient autrefois des fermiers ou des insurgés, la possibilité d’exploiter les sites, le partage évitant les problèmes de rivalité et les conflits.
Il nous a aussi été dit que pour lutter contre le trafic de drogue, le gouvernement a permis à certains trafiquants d’exploiter les mines pour qu’ils mettent fin à leur activité illicite.
A Mogok, chaque mineur doit en théorie montrer sa production au gouvernement et s’acquitter d’une taxe de 10% avant de pouvoir vendre ses pierres. Bien sûr, tout cela reste théorique car Vincent nous disait qu’à Mogok de tous temps, sous les rois Birmans, comme sous l’administration coloniale Britannique ou depuis l’indépendance de la Birmanie, il est très difficile aux autorités de contrôler ce qui se passe dans les mines. La tentation est grande : un beau rubis est si petit, si facile à cacher et peut valoir une fortune !
Il y a surement pas mal d’activité minière illégale à Mogok, à commencer par les propriétaires des mines qui ne déclarent probablement pas au gouvernement toutes leurs meilleures pierres afin d’échapper aux taxes et pour de ne pas attirer la convoitise d’autres mineurs qui pourraient vouloir leur prendre leur précieux bien le jour où leur licence arrive à expiration.
Mogok, une terre à part
Mogok est un lieu totalement insolite, qui regorge de multiples pierres précieuses de couleur et du fameux rubis, « sang de pigeon » unique au monde, un terrain de jeu, pour spécialistes passionnés, grandeur nature.
Quand la Birmanie a été colonisée par les Britanniques, certains habitants se sont réfugiés en Thaïlande pour fuir leur emprise. Ils ont exporté avec eux leur savoir-faire et leurs technicités et se sont installés à Chanthaburi, la capitale actuelle du négoce des gemmes en Thaïlande.
Tout vient de Mogok (3). A la fin de notre séjour, nous avons compris pourquoi cet endroit tenait une place si particulière dans le cœur de Vince, et pourquoi il s’y est rendu si souvent. C’est à Mogok que tout a commencé pour lui, il y a tissé des relations privilégiées avec des locaux et notamment avec le Dr. Saw Naung Oo, un ancien médecin devenu mineur qui lui a fait visiter Mogok plusieurs fois, il y a une dizaine d’années et à qui il ne manque pas de rendre régulièrement visite.
C’est grâce à lui qu’il a pu continuer à pénétrer dans ce territoire, longtemps resté fermé aux étrangers. Ce fils de général Shan et d’une ancienne rebelle lui a fait partager ses connaissances des lieux, des hommes, il a beaucoup appris à son contact et lui en est très reconnaissant.
Le métier de Vincent est un savant mélange de patience, de diplomatie, de connaissances et de reconnaissances.
- Pour l’anecdote, alors que nous marchions pour chercher l’entrée d’une mine, nous avons rencontré un vieux monsieur, qui nous a dit en voyant Vince :
« Je reconnais cette personne, c’est un écrivain, qui connaît bien le monde des pierres et qui vient souvent à Mogok »…
Comme quoi sa réputation est loin d’être usurpée.
- (1) Les photos de Vincent Pardieu et comptes-rendus d’expédition sont à découvrir sur son site : www.fieldgemology.org (en anglais)
- (2) Les publications de Vincent Pardieu sont à lire sur www.giathai.net, www.gia.edu et www.fieldgemology.org (en anglais)
- (3) Pour approfondir vos connaissances et découvrir l’histoire de la Birmanie et de Mogok, écrite par Vincent Pardieu et Andrew Lucas rendez-vous sur (en anglais) : www.gia.edu/gia-news-research-expedition-to-the-valley-of-rubies-part-1