Crédit photo ci-dessus: © Jean mouette, CNRS
Jean-Philippe Beaulieu traque les nouvelles planètes
L’astrophysicien jonzacais, spécialiste des exoplanètes, est aussi un expert en objets d’art du Pacifique. Il vient en outre de sortir un livre sur les vestiges d’un potager planté en Tasmanie par l’expédition d’Entrecasteaux. Le Jonzacais Jean-Philippe Beaulieu a fait de la découverte des nouvelles planètes son terrain de jeux. Ce chasseur de planetes passionné, avide de connaissances et de découvertes, a bien d’autres cordes à son arc. Echange avec une personnalité captivante qui a la simplicité des gens brillants.
Quelles sont vos attaches dans la région ?
Je suis né à Bordeaux, le 31 mars 1969. J’ai grandi à Jonzac. Ma mère était anesthésiste, originaire de Libourne, mon père était chirurgien né dans la Vienne. Mes souvenirs d’enfance avec ma sœur et mon frère sont peuplés de courses dans les bois, de cabanes dans les buissons, dans les arbres, de vendanges, de bouteilles de vin remplies dans le chais familial et de recherches de fossiles dans des marnières. Sans oublier les multiples séjours au ski en famille, la découverte de la voile, ainsi que les vagues à Biarritz.
J’ai fait toute ma scolarité primaire et secondaire à Jonzac : école Saint-Exupéry, Collège Léopold Dussaigne, et le lycée Jean Hyppolite. Puis j’ai poursuivi en Mathématiques supérieures à Bordeaux puis “Maths Spé” à Paris, où j’ai décroché un diplôme d’ingénieur en traitement du signal. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de suivre un vieux rêve et faire un petit détour en astronomie. Je me suis alors inscrit en DEA d’Astrophysique, puis en thèse de doctorat.
Comment est né ce vieux rêve ?
C’est un héritage familial. Je devais avoir 8 ans quand mon arrière grand père m’a montré la Lune avec les jumelles qu’il utilisait durant la guerre de 14-18. Surprise totale: je découvrais une surface très intrigante, les mers, les cratères. Mon grand père paternel ayant constaté ma curiosité, m’a offert un premier livre d’astronomie. Mon père m’a alors bricolé une première lunette astronomique avec un tube en carton. Deux instituteurs du primaire ont aussi joué un rôle déterminant. Mme Panetier en CE1 et M. Barbotin en CM2 ont su trouver les mots, susciter l’intérêt, et m’encourager dans mon exploration du monde des étoiles. Un peu plus tard, mes parents m’ont offert un télescope. Nous avons regardé les nébuleuses, les planètes, la Lune, la comète de Halley.
Après mes études d’ingénieur, ma passion pour l’astronomie m’a rattrapé, j’ai alors commencé à travailler avec plaisir. Un long cursus a débuté. Après les 3 ans de thèse, j’ai été « physicien intérimaire » au Commissariat à l’Energie Atomique, puis invité pour un long séjour à l’université de Floride, puis de Harvard. J’ai ensuite débuté un postdoctorant en Hollande pour 2 ans et demi. En 1998, j’ai été recruté par le CNRS, après des concours très sélectifs, comme chargé de recherche, puis en 2010, je suis devenu directeur de recherche. C’est une vie passionnante, avec un rythme de travail un peu fou.
Quels sont vos domaines de recherche et vos grandes découvertes ?
Il y a vingt-trois ans, j’ai commencé par m’intéresser à des étoiles variables que l’on appelle céphéides, et qui sont utilisées pour mesurer les distances, en particulier la vitesse d’expansion de l’Univers. A l’époque les astronomes s’étripaient à propos de cette mesure. Les deux écoles de pensées considéraient que les céphéides avaient des propriétés universelles. Avec un postdoctrorant de Harvard, Dimitar Sasselov, nous avons montré le contraire. Les céphéides de différentes galaxies avaient des propriétés avec des subtiles différences. Les mesures réalisées par les deux groupes étaient affectés, mais dans des directions opposées. La publication de nos recherches a provoqué un séisme en 1997, leurs résultats ont ensuite été confirmés, quelques jours avant la présentation de ma thèse. Aujourd‘hui, c’est la valeur acceptée comme vitesse d’expansion de l’Univers. Ces travaux m’ont valu, en 1996, le prix Louis Armand décerné par l’académie des sciences m’a donné le prix Louis Armand pour ces travaux en 1996. Il récompense le travail d’un jeune chercheur de moins de 30 ans, en maths, physique ou astrophysique.
Après ce résultat important, je me suis lancé un nouveau défi : chercher des planètes extrasolaires par effet de lentilles gravitationnelles. L’objectif à long terme étant de trouver une petite sœur de la Terre. Le principe est d’observer une étoile très éloignée, vers le centre de la galaxie. Quand une autre petite étoile, passe proche de la ligne de visée de la première, cela provoque une amplification du flux de celle qui est en arrière-plan. A un instant donné, il y a une chance sur un million qu’une étoile subisse cet effet vers le centre de la galaxie. On en surveille donc 200 millions chaque nuit, pour identifier les lentilles gravitationnelles. Dans certains cas il est possible de découvrir la signature de planètes autour de ces lentilles. On va alors choisir les plus intéressantes que l’on va scruter vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec un réseau mondial de télescopes.
Et le réseau Planet, que vous dirigez depuis 2002, s’inscrit dans cette démarche.
Effectivement. C’est un projet constitué de 35 personnes de dix pays différents, aux profils variés mais toutes animées par le même objectif : dénicher des planètes. Cinq mois par an, nous observons de manière coordonnée les effets de lentilles gravitationnelles. Les différents télescopes, répartis autour de la Terre, observent en continu. Les données sont analysées et transmises à l’Institut d’Astrophysique de Paris.
En 2005, nous avons découvert ce qui justifiait une décennie d’efforts : une autre planète, faisant cinq fois la masse de la Terre, en orbite autour d’une petite étoile (d’un cinquième la masse du Soleil). Elle doit avoir un rayon un peu plus important que le Terre, c’est un monde très froid, glacé de -220° C. A cette époque-là, un certain nombre de planètes extrasolaires avaient été découvertes, mais c’était la première planète tellurique jamais détectée en dehors de notre Système solaire. Une cousine glacée. La planète, du nom scientifique peu poétique de OGLE-2005-BLG-390Lb a été surnommée par certains Hoth, un clin d’oeil à l’épisode “L’Empire contre-attaque” de “Star Wars”.
La satisfaction, c’est d’avoir obtenu un résultat scientifique majeur avec un petit groupe déterminé et des budgets limités. Notre objectif, cette année, est de découvrir des planètes errantes, sans étoile. En parallèle, je suis co-leader d’un projet de satellite présélectionné pour études par l’Agence Spatiale européenne, et nommé “ARIEL”. Ce sera le premier télescope à sonder les atmosphères de planètes en orbite autour d’autres étoiles. C’est le grand défi des prochaines années. La sélection aura lieu en 2017, pour un lancement en 2026.
Vos déplacements autour de la planète sont réguliers, en quoi consistent-ils ?
Notre équipe de chasseurs de planètes est une équipe mondiale. Mes déplacements me permettent de faire fonctionner les télescopes, de travailler avec mes collègues étrangers à la rédaction d’articles, et de présenter les résultats scientifiques importants dans des conférences où tous les experts mondiaux se réunissent.
Quelle est la situation de la recherche en France ?
La recherche fondamentale, en général, est en grand danger. Ses crédits sont sacrifiés sur l’autel du crédit d’impôt recherche des grands groupes, au détriment des petites entreprises. Sans oublier les lourdeurs bureaucratiques, qui sont en train de nous tuer. Pour exemple, je consacre environ un tiers de mon temps à la rédaction de projets qui sont soumis à des experts étrangers (nos concurrents) qui nourrissent leurs travaux avant que nous puissions réaliser les nôtres. Le taux de financement de la recherche appliquée est ridiculement faible, cette année, il équivaut à cinq projets d’astrophysique pour l’ensemble de la France. Nos travaux aujourd’hui, relèvent de la survie, et je ne suis guère optimiste pour l’avenir.
DATES CLÉS
- 31 mars 1969 : naissance à Bordeaux
- 1996 : prix Louis- Armand, décerné par l’Académie des sciences, pour ses travaux sur les céphéides
- 2005 : découverte de la planète tellurique Hoth avec son réseau Planet
- Depuis 2010 : directeur de recherche au CNRS à l’Institut d’astrophysique de Paris
- Février 2016 : sortie du livre sur le potager de Recherche Bay, en Tasmanie (article à suivre…)
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La page de J.P. Beaulieu : http://www.iap.fr/useriap/beaulieu/
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