CULTURE

J’ai eu la chance de pouvoir interviewer en novembre 2018, Robert Coustet, spécialiste de l’art bordelais des XIXe et XXe siècles, professeur émérite de l’université Michel de Montaigne-Bordeaux III et membre de l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux Il. Il est décédé quelques mois plus tard, le 19 septembre 2019. Il m’avait expliquée la genèse du projet et l’importance architecturale de l’ensemble Adolphe Buscaillet dans le quartier de Bacalan.

Adrien Marquet souhaitait ouvrir l’espace avec une place offerte au soleil pour marquer les lieux visuellement. Il tenait à ce que la population ouvrière ait accès aux monuments et à la beauté de la même façon que les gens aisés, la bourse du travail en est le parfait exemple. Il tenait à apporter de la modernité et de la beauté architecturale dans des lieux qui en étaient dépourvus. Il avait imaginé pour cet espace un projet polyvalent pour répondre aux besoins variés des habitants, le tout dans un style résolument moderne d’où le choix de Pierre Ferret, tout jeune architecte qui militait en faveur d’un style contemporain. Adrien Marquet souhaitait une cassure et insuffler un renouveau architectural qui symboliserait le changement. Il fallait que sa politique s’affiche, se voit et laisse son empreinte.

L’ambitieux et novateur programme architectural du jeune architecte se confronta aux décisions des architectes conseils de la ville, qui tenaient à préserver l’unité architecturale municipale et veillaient à ce que la capitale girondine ne devienne pas un patchwork de réalisations hétéroclites. Il fallait que le tout soit fonctionnel et harmonieux. Il conçoit deux pavillons parallèles, une crèche et un dispensaire d’un côté et des bains douches de l’autre, reliés en leur fond par une sorte de corridor qui délimitait un jardin d’enfant dressé sur un podium. L’ensemble est implanté en fond de place, laissant ainsi l’espace à un grand dégagement pour donner plus d’ampleur aux bâtiments bas. Un jeu d’escaliers, du plus grand effet, pouvant être assimilés à des gradins, rend l’ensemble agréable, valorisant sans être écrasant, ni pesant. Le jardin sur le front se déroule dans le prolongement. Les bâtiments sont construits en béton armé, matériau imposé pour sa modernité, avec des lignes fidèles à la tradition classique, des demi-rotondes situées dans l’axe des escaliers, et des poteaux circulaires similaires à des colonnes. Le style est dépouillé, sobre, sans fioritures. Quelques médaillons sculptés, illustrant des jeux d’enfants, amènent une touche de charme à l’ensemble, telles des notes de gentillesse destinées aux plus jeunes, qui rappellent la vocation des lieux.

Cette réalisation est l’œuvre d’un architecte majeur, c’est le symbole d’un idéal politique. C’est une conception harmonieuse, modeste, soignée, blanche et pure. Cet ensemble architectural répond exactement à l’idéal du modernisme mesuré qui caractérise l’architecture municipale de ces années. La justesse des proportions et l’harmonie des lignes équilibrent avec un rare bonheur les droites et les courbes. Son style est indémodable car inspiré de l’architecture classique. Ce bel ensemble, labellisé patrimoine du XXè siècle, est malheureusement très dégradé. Il est primordial qu’il retrouve un véritable usage et que lui soit restitué sa beauté et sa splendeur. C’est un bâtiment emblématique des années 30 et de l’entre-deux-guerres, élément précieux dans le corpus architectural de Bordeaux.

La place a été rénovée, deux fontaines en céramique contemporaine ont été commandées à l’artiste Clémence Van Lunen et le tout inauguré en septembre 2018 sans que les bâtiments n’aient été concernés. Aujourd’hui, des associations du quartier occupent les locaux, propriété de la mairie.

Pour s’y rendre : prendre le tramway, ligne B direction Claveau ou Berges de Garonne puis arrêt New York, emprunter la rue Charlevoix de Villers et à une cinquantaine de mètres à gauche vous trouverez la place.

 

Il était l’auteur, en collaboration avec Marc Saboya de “Bordeaux, le temps de l’histoire : architecture et urbanisme au XIXe siècle”