AVENTUREMAROC

Sita nous fait vivre son stage de survie

Pourquoi diable ressentir l’envie de faire un stage de survie ? Besoin de se surpasser, de se tester, de se découvrir ou tout simplement tenter une nouvelle expérience.

Pour ma part, c’est la curiosité qui m’a fait signer. Dans la région bordelaise, Denis Tribaudeau (1), s’est fait un nom et une spécialité dans ce domaine, il propose différents types de stages, de longueur variable, en France ou à l’étranger. Khun Didi avait déjà testé le stage « Bite et couteau » en Dordogne, cadeau pour son anniversaire (et non je ne voulais pas me débarrasser de lui…). Notre choix se porte sur le Haut Atlas marocain. Rendez-vous à Marrakech pour les six stagiaires qui vont vivre l’aventure, nous goûtons aux délices culinaires avant les privations volontaires. Nous faisons connaissance autour d’une abondance de mets, tajines, salades marocaines, pâtisseries … il faut être maso.

La particularité de ce séjour, c’est qu’une journaliste Elisa Jadot et un caméraman, Cédric Fouré vont suivre, en conditions réelles, tous nos faits et gestes durant une semaine pour France 2. (2) Une pression supplémentaire. Du groupe, seules Elisa et moi n’avions jamais vécu ce type d’expérience. N’ayant aucune idée de ce qui m’attend, je me laisse porter et guider par Yoann l’instructeur/survie bordelais et Mustapha, le guide marocain expert du terrain. Mes craintes sont doubles, l’entente entre les membres du groupe et mes propres réactions face à la faim et la fatigue. La plupart viennent avant tout pour se tester, se ré-enraciner, dépasser leurs limites, découvrir un autre soi sauvage, plus primaire.

Yoann va nous apprendre à ne pas nous mettre en situation de survie, de limite extrême en ayant toujours en tête les trois objectifs primordiaux, l’abri, l’eau et le feu. Il nous met en garde sur la tunnelisation mentale et les différents états d’esprit qui nous guettent : la panique, la colère, la déprime, la sur-excitation. Ca promet. Au programme de la semaine : marche, recherche de l’eau, apprendre à monter un abri de fortune, réaliser du pain, allumer un feu, fabriquer des outils, orientation au rythme des étoiles.  Nous allons devoir cueillir, chasser, poser des pièges, attraper des insectes, des scorpions, des grenouilles.

Il nous faut une demi-journée pour rejoindre le point de départ de notre aventure, 70 km après Azilal. Nous marchons une heure et demi pour accéder à un village berbère encaissé au fond d’une vallée, verdoyante, maraîchère. Grâce à Mustapha, notre guide marocain, une famille berbère nous offre l’hospitalité. C’est une immersion dans la vie spartiate d’une famille traditionnelle. Quelques-uns s’installeront dans l’humble demeure de nos hôtes alors que nous choisirons de dormir à la belle étoile près du feu. Nous démarrons le stage en apprenant à allumer du feu avec un firesteel, c’est une barre de ferrocérium produisant une gerbe d’étincelle lorsqu’il est gratté avec la lame d’un couteau. Mustapha nous met très vite en condition et nous met face à une décision de groupe. Nous partons avec un petit stock de nourriture à nous de décider collectivement comment l’utiliser et le gérer. (Voir l’article sur l’alimentation) La famille qui nous reçoit nous offre du pain qu’elle vient de confectionner dans un four traditionnel en terre. Les tentatives pour faire du feu reste longtemps vaines. Ce soir-là, c’est Elisa qui nous sauve. Après le repas, chacun installe son couchage, un mince matelas et un duvet sous l’œil de la caméra. Une bâche posée sur le sol en terre battue permet de conserver une relative propreté. A 4h30, nous sommes réveillés par l’appel de la prière du muezzin puis à 5 heures… Je redécouvre le plaisir de dormir sous la voûte étoilée, éclairée par un croissant de lune.

Jour 1, les coups de fatigue

Cédric et Elisa se sont levés tôt pour être sûrs de nous capter au réveil, et bien ils ont réussi leur coup. Dès que l’on a ouvert une paupière, on s’est retrouvé face à la caméra à répondre à la première question de la journée… Vraiment incarné le sujet.

La consigne au lever : le premier réveillé ravive le feu. Je m’atèle à la tache puisque nous dormions à côté du foyer. Progressivement, le groupe s’active, tranquillement. Une fois le petit déjeuner avalé, on part vers 8h45. On entame l’ascension du versant qui nous fait face, au départ tout se déroule très bien. Mais quand on démarre le dénivelé positif, il s’avère très raide, il fait particulièrement chaud, les roches ont emmagasiné beaucoup de chaleur, qu’elles restituent généreusement, le sac à dos est lourd, de plus en plus lourd. Au ¾ de la falaise, mon cœur s’emballe sans jamais pouvoir le faire redescendre, j’ai des nausées, la tête qui tourne.

Ma température corporelle s’est élevée. Mustapha me fait asseoir à l’ombre, me place un foulard mouillé autour du cou pour faire baisser ma température corporelle. Il redoute le mal des montagnes (nous sommes presque à 2500 mètres) mais pour avoir gravi des monts plus hauts, je sais que ce n’est pas ça. Je mange deux dattes, une poignée de graines, une barre de céréales. Je vais progressivement beaucoup mieux. Je viens de faire une hypoglycémie, un coup de fatigue. Mon sac est confié aux garçons, c’est Fabien qui s’en charge. Mus veille sur moi, je repars, les jambes sont lourdes mais sans le sac, le reste de l’ascension est facilité.

Arrivés sur le plateau, c’est au tour de Juliane de connaître la même déconvenue, aux mêmes effets, mêmes traitements. Le petit groupe redémarre. Nous faisons une pause près d’une rivière pour expérimenter plusieurs techniques de feu. Malheureusement, ça ne fonctionne pas tout de suite, les différentes tentatives échouent alors que plusieurs conditions favorables étaient réunies, bois sec, brindilles, soleil.

La leçon de cet épisode, c’est que rien n’est jamais acquis. Au bout d’un long moment, le premier objectif est atteint, nous avons le feu et nous décidons de le transporter jusqu’au bivouac. Chacun y va de sa trouvaille pour préserver précieusement les braises. Nous nous installons dans une grotte proche de la rivière. En ralliant le camp, nous avions pris soin de ramasser des morceaux de bois, de collecter des plantes pour le soir.

En fin de journée, tous les objectifs vitaux sont atteints. L’abri, l’eau, le feu.

Car par chance, des braises sont intactes et réutilisables. Nous préparons un thé avec les plantes ramassées, on se nourrit d’une soupe agrémentée d’un oignon, de plantes le tout épaissi avec un peu de farine. On s’hydrate mais il faut reconnaître, c’est particulièrement fade. En nettoyant une gamelle, je me coupe le bout d’un pouce. Nous achevons cette journée avec un atelier infirmerie/pansement, tout le monde est au petit soin. J’ai l’impression d’être le paratonnerre du groupe …. J’ai une jolie poupée.

Jour 2, la chasse aux scorpions

Mus nous apprend à confectionner une galette de pain. On la coupe en deux, la première moitié est mangée de suite avec un thé à la menthe, la deuxième est partagée et distribuée à chacun d’entre nous. Nous levons le camp en nous assurant de le laisser bien propre et sans risque d’incendie. Sur le chemin, Mus et Yoann nous apprennent à dénicher des scorpions, à les rendre inoffensifs en leur coupant la queue chargée de venin et à les attraper. Je ne me serais jamais crûe capable de relever un tel défi. Une fois que l’on sait comment faire, toutes les craintes s’envolent. Tout ce qui paraît compliqué au départ devient rapidement spontané, nos instincts primitifs resurgissent, on se découvre des ressources insoupçonnées.

Au terme d’une petite heure de marche nous rallions une nouvelle grotte. Nous expérimentons ou réessayons différentes techniques de feu avec l’archet, la loupe, le préservatif rempli d’eau, le firesteel. Je m’essaye avec Elisa à la loupe, les nuages se jouent de nous, nous devons épier les éclaircies. Je réussis à embraser l’étoupe que j’avais confectionnée mais j’ai commis l’erreur de ne pas préparer mon foyer au préalable. Le feu grandit, je me brûle, et me voit contrainte de tout jeter au sol. Fabien réussit à récupérer une braise, il a sauvé le feu. Quand ça s’est embrasé, j’ai crié : « Ca y est, ça y est, j’ai réussi. » J’étais dans un état de joie extrême, quelle satisfaction ! La persévérance venait de payer, c’était ma contribution au bien-être du groupe et à sa survie.

J’entrevoyais ce que les gens viennent chercher en stage de survie.

Nous avions une dernière tâche à accomplir, trouver notre nourriture. Nous avons constitué deux groupes, un suivrait Mus pour la recherche et la collecte de plantes et l’autre avec Yoann et Abdou, le muletier pour la pose des pièges en espérant attraper du petit gibier. Khun Didi, Juliane et moi, partons avec Mus à la chasse aux herbes. La récolte s’avère plus difficile que prévu, les chèvres et moutons montés dans les alpages plus tôt que d’habitude ont quasiment tout mangé. Notre collecte dans un superbe canyon est peu fructueuse. Nous n’avons toutefois pas perdu notre temps, nous trouvons une source et nous en profitons pour refaire nos réserves d’eau.  Le soir, nous nous délectons de scorpions grillés, c’est un véritable délice, un nouveau défi relevé. Nous achevons la soirée autour du feu, qui crée une atmosphère propice aux confidences et à l’expression de nos états d’âme, de nos ressentis. Un moment particulièrement fort émotionnellement, révélateur de la belle cohésion de notre groupe. Très vite chacun a trouvé naturellement sa place, un rôle utile à la petite communauté que nous formons désormais.

Jour 3, orage et abris de fortune

Il a plu toute la nuit. Et les conditions météorologiques ne sont pas favorables. Un débat s’instaure très vite. Est-il raisonnable de partir avec le mauvais temps vers un endroit où nous n’aurons pas de refuge, pas d’abri ? On se laisse un peu de temps pour y réfléchir. Pendant qu’un groupe part relever les pièges, je m’attèle à confectionner deux galettes de pain sous les conseils avisés de Mus. Je fais cuire un oignon et la tomate qui nous reste avec un peu de sucre. J’enduis une galette de cette préparation puis pose la seconde par-dessus, pour faire un chausson. Avec Mus, on pose le tout dans les cendres. On le partage en deux, une partie est mangée de suite et le reste partagé et transporté.

On prend la décision de lever le camp. Les chasseurs reviennent bredouilles. Une grosse journée nous attend avec cinq heures de marche, le passage d’un col à 2500 mètre d’altitude. On y fait une pause pour un atelier orientation. Le temps se fait de plus en plus menaçant, au loin l’orage gronde, le ciel s’obscurcit. On traverse une zone où nichent les scorpions tout le monde s’atèle à la tâche. La météo nous oblige à écourter la collecte pour rejoindre le lieu de bivouac. Il sera de fortune.

Nous avons juste le temps d’installer les bâches et allumer le feu avant que l’orage de grêle n’éclate. Des tentes sont prévues et montées pour Cédric et Elisa. Cette dernière a jusqu’à présent totalement joué le jeu.

Mais ce soir Elisa, Juliane et moi, décidons de faire une petite entorse au règlement, les filles dormiront à l’abri pendant que les garçons vivront leur aventure extrême. Nous sommes au sec, au chaud, très bien installées et très contentes d’en profiter. Comment une toile de tente prend tout d’un coup les allures d’un palace, qui l’aurait cru ? Nous partageons avec Juliane, sous une tente berbère, un très joli moment avec le cuisinier qui prépare à manger pour Cédric. Nous échangeons sur nos modes de vie, nos cultures, pendant qu’il prépare une savoureuse soupe, c’est un moment suspendu dans le Haut Atlas. Nous faisons preuve d’une grande force de caractère en ne cédant pas à la tentation de manger… nous acceptons uniquement le thé à la menthe. Nous nous couchons repues de nos riches discussions et conversations.

Jour 4, après les scorpions, les grenouilles

C’est notre avant-dernier jour. Nous avons passé une bonne nuit à l’abri sous la tente. Nous retrouvons les garçons qui ont un peu plus galéré … mais qui sont ravis, ils étaient venus là pour ça et les conditions, jusqu’à maintenant, étaient un peu trop faciles à leur goût. Ils sont contents, ils ont vécu leur moment de stress et d’urgence, leur montée d’adrénaline pour colmater et renforcer leur bivouac, au réveil les traits sont tirés mais ils sont satisfaits. On prend soin de bien plier et ranger les bâches qui se sont avérées très utiles, idéales pour un abri de fortune.

Nous entamons la descente vers la vallée, le paysage est de plus en plus vert et la température remonte progressivement. Au gré de notre périple, nous poursuivons comme chaque jour la collecte des plantes comestibles, de brindilles, de bois, d’amadou (un champignon qui pousse sur les arbres et qui est idéal pour la braise). Au terme de 4 à 5 heures de marche, nous arrivons dans le lit d’une rivière verdoyant, il y a des herbes à profusion, menthe, ambroise blanche, cresson, c’est un peu marécageux.  C’est l’univers rêvé des grenouilles que nous attrapons pour le diner du soir.

Nous remontons légèrement pour accéder aux grottes sur les flancs de la colline sur les hauteurs d’un village. Nous avons l’abri, de quoi manger, nous nous attelons au feu, et l’eau est proche. Une fois que tous les éléments vitaux sont assurés, nous décidons d’aller enfin nous laver dans la rivière. Mais comme rien n’est jamais simple, il nous faut une heure d’une balade sur un chemin étroit, escarpé pour accéder à l’endroit propice à notre douche. Nous préservons l’eau de la source et utilisons l’eau de la rivière qui ne va pas directement dans le village. Et mon dieu quel plaisir, quel bien être d’avoir les cheveux propres et de se débarrasser de la poussière d’une semaine.

Les gestes que nous accomplissons tous les jours sont banalisés et quand on en est privé durant quelques jours, ils deviennent délicieux et tellement agréables. C’est la leçon aussi de ce stage, ré-apprécier notre vie quotidienne et se rendre compte à quel point nous vivons dans le luxe et le confort. Après avoir bien profité de cette pause, nous nous accordons un petit bain de soleil. Il est temps de repartir, on revient par un chemin moins escarpé et moins raide, nous traversons le village, nous apercevons ici et là des enfants qui jouent dans des éclats de rire. Mus nous fait découvrir les saveurs des cactus, c’est agréable en bouche. De retour au bivouac, il est temps de dépecer les grenouilles. C’est Benoît, le chasseur, assisté de Nicolas qui s’en charge et le soir nous sommes bien contents de manger un peu de mets solides, ça manque un peu de sel… Dernière nuit dehors.

Jour 5, le retour

C’est le retour à la civilisation, au confort et à la nourriture. Nous retrouvons le minibus qui nous ramène à Marrakech. Nous aurons vécu une très belle aventure humaine (voir l’article le stage par ceux qui l’ont vécu). On s’aperçoit que nos vies quotidiennes citadines sont pleines de superflus, durant une semaine nous avons appris à aller à l’essentiel, à nous contenter de peu. Notre corps s’est mis rapidement en mode survie, les sensations de faim se sont estompées dès le premier jour, il s’est adapté au jeûne et a très bien réagi, l’essentiel étant l’hydratation. Les Berbères que nous avons rencontrés vivent dans des conditions particulièrement spartiates. A la différence de notre expérience, la survie fait partie de leur quotidien. C’est une sacrée leçon de vie, ça rend humble. L’énergie qui aurait pu nous faire défaut, a été stimulée par l’ambiance au sein du groupe. La cohésion, la solidarité et la bonne humeur ont été notre moteur qui nous a évité les déconvenues émotionnelles, caractérielles tant redoutées. Venus chercher des sensations fortes, extrêmes et pour se tester, nous sommes repartis plus forts, plus humains en nous promettant de nous rappeler ces sensations le plus longtemps possible. A recommencer.

Références: