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voyages et passion pour les arts du Pacifique

Chasseur de planètes (lire son interview), Jean-Philippe nous parle d’une autre de ses passions :

Mon père est passé par la Nouvelle Guinée en 1982 et en a ramené une statue. J’étais un jeune adolescent, et ça m’a intrigué. Par la suite,  j’ai découvert les arts du pacifique par le regard des Surréalistes. C’est le groupe d’André Breton, et les artistes du début du XXème qui ont permis de révéler en France ces œuvres étranges. On découvre un art avec des codes particuliers, une exubérance et une créativité folle. La production de ce que nous, appelons objets d’art est partie intégrante des rituels.

 

Prenons l’exemple de la Nouvelle Irlande. Une île longue de près de 400 km, d’une largeur de 10 km à son point le plus étroit, avec une chaîne de massifs karstiques montant jusqu’à 2300m d’altitude. Environ 100 000 personnes, parlant 19 langues différentes peuplent cette terre et les archipels voisins.

Au nord de la Nouvelle Irlande et dans les îles Tabar, la vie des clans est réglée autour de rites funéraires complexes que l’on appelle Malagan. Ces cérémonies se déroulent sur des années, impliquant un engagement lourd des communautés. Elles culminent avec la présentation de statues en bois sculptées, les Malagan et des échanges entre les clans participants. Ces statues sont des troncs d’arbres d’un bois tendre, l’alstonia et suivent des règles de copyright stricts.

Les droits sur les sculptures sont échangés lors des cérémonies, lorsque ces dernières sont chargées par des sorts de magie et le sacrifice de porcs. Les rituels sont longs, complexes, produisent des objets d’une diversité folle tout en respectant des codes. Ils ont un sens dans le cadre de leur préparation et de leur présentation lors d’une cérémonie.

Ils ne peuvent être utilisés qu’une seule fois.

Et vous avez eu l’opportunité d’assister à un Malagan ?

Après m’être pas mal baladé en Nouvelle Guinée, j’ai voulu savoir si les rites Malagan étaient encore vivants. J’ai décidé de me rendre à la source aux îles Tabar. Un endroit très reculé, qui en est l’origine. Je m’y suis rendu en 2002. J’y ai rencontré des gens extraordinaires, certains sont devenus des amis. Une figure importante est Edward Salle, le dernier grand sculpteur de Malagan. Un homme plein d’humour, un des gardiens de la tradition.

Je suis arrivé quelques semaines après la mort du chef, Joël Picia. J’ai donc pu participer à une première petite célébration à sa mémoire. J’ai appris qu’ils feraient, dans quelques années, un Malagan très important. J’y suis revenu en 2003 et 2004. Le 26 janvier 2006, mon ami King de Tabar s’est glissé dans un bureau à Kavieng et m’a appelé : « John, on fait le Malagan en septembre. Viens, on te montrera tout, et apporte une caméra. Il faut garder une trace pour les enfants. Notre tradition est mourante ». (Et pour l’anecdote, c’est aussi le jour où la planète de cinq masses terrestres était publiée par Nature, et fut annoncée dans les media (2)).

Nous y sommes allés à trois (Jadzia Donatowicz, Jean Mouette et moi), pour un mois, avec une caméra HD. Nous nous sommes intégrés dans le groupe et adaptés aux traditions, faisant oublier la présence de la caméra. Nous respections les codes du clan. Nous entrions toujours dans l’enclos funéraire accompagné par les anciens.  Nous étions parés nous aussi des peintures indispensables à notre protection,  de façon à ce que le requin-esprit du clan ne sache pas que nous étions en présence des Malagan. Pour apprendre, l’écoute est primordiale. Pour favoriser les échanges, il vaut mieux éviter les questions directes, et plutôt raconter ce qui se passe sur notre terre natale, expliquer notre agriculture, notre pêche, ce qui pousse dans nos jardins.

Nous avons alors tourné 45 heures d’images. Les préparatifs, trois cérémonies funéraires, et la grande cérémonie finale. La plus importante de Nouvelle Irlande depuis les vingt dernières années. Il y avait environ quatre cents participants, dix-sept statues préparées, présentées, nourries du sacrifice de porcs et de magie, des danses, des échanges. Ce furent deux journées extraordinaires, commençant à l’aube avec l’apparition des « Ges », double-humains masqués, qui chassent les esprits des morts.

 

En 2011, j’y suis retourné et j’ai ramené cinq heures d’images. On a branché un groupe électrogène, pour alimenter un téléviseur et un magnétoscope posés sur un canot retourné sur la plage. Les habitants de Tabar venaient voir, revoir plusieurs fois les images. Les enfants mémorisaient les chants, les participants se remémoraient la fête.

A ce jour, un film monté de 16 minutes a tourné dans une dizaine de musées. Il reste à monter le film en version longue.

Et vous êtes devenu un expert en objets d’art du Pacifique

J’ai une documentation très complète que j’ai mis quinze ans à constituer. J’ai la quasi-totalité de ce qui concerne l’art de Nouvelle Irlande, y compris les publications les plus rares. J’ai aussi des photos des journaux de bords inédits d’explorateurs Allemands en Nouvelle Irlande en 1908-1910.

Je travaille depuis 2 ans sur un livre sur les Uli. Ce sont des statues emblématiques ayant le plus excité la curiosité des ethnologues et des artistes. Ce sont les rares représentations humaines stylisées. Ces sculptures en bois colorées de pigments ocres, noirs,  jaunes et blancs mesurent généralement 1,30 mètre, plus rarement 50 cm ou 1,80 mètre. Leur large tête barbue est surmontée d’une crête, leur face convexe est blanche ; les orbites et le contour du visage sont rehaussés de noir. Les Ulis sont trapus et campés sur des jambes courtes. Leurs sourires carnassiers et leurs attitudes de défiance accentuent la puissance qui se dégage de ces œuvres.

Contrairement aux autres statues sculptées de Nouvelle Irlande qui étaient généralement détruites ou abandonnées après les rituels, les Ulis étaient soigneusement conservés dans les maisons des hommes.  Il en existe environ deux cent cinquante au monde. Je possède des informations entièrement nouvelles et très riches, trouvées dans des journaux manuscrits du début du XXème. Des documents qui étaient oubliés dans des musées et que j’ai retrouvés.

Comment faites-vous pour tout mener de front ?

Je n’ai pas de télévision. Il y a plein de choses intéressantes à faire donc Carpe Diem !

L’astrophysique, c’est agréable mais c’est un monde avec la rigueur des maths et de la physique. Le monde de l’art océanien est profondément humain et nourri de rêve et de sensibilité et l’art est indispensable à la vie.

DATES CLÉS

  • 31 mars 1969 : naissance à Bordeaux
  • 1996 : prix Louis- Armand, décerné par l’Académie des sciences, pour ses travaux sur les céphéides
  • 2005 : découverte de la planète tellurique Hoth avec son réseau Planet
  • Depuis 2010 : directeur de recherche au CNRS à l’Institut d’astrophysique de Paris
  • Février 2016 : sortie du livre sur le potager de Recherche Bay, en Tasmanie

Les histoires d’art du pacifique : http://www.iap.fr/useriap/beaulieu/index_oceanic.html

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